1.10.2013

ÉRIC AUBERTIN


Erratum musical
20.01.13 - 20.02.13
Une installation in-situe

Vernissage le dimanche 20 janvier à 14h
Relâche le samedi 26 et le dimanche 27 janvier


Pour inaugurer la saison 2013, Espace Projet présente une exposition solo d’Éric Aubertin Erratum musical, une installation in-situ. Le titre rappelle l’œuvre musicale de Marcel Duchamp (1913) qui fut élaborée à partir de 25 notes tirées au hasard. 

La mise en espace de l’installation sera donc réalisée de façon aléatoire en transposant une portée géante sur les murs pour y accrocher 25 tableaux monochromes (pour ne pas dire monotones) verts et beiges selon la hauteur des notes de la partition. Ces monochromes font écho au 433 de John Cage, genre de silence visuel.

Ce dialogue entre Cage et Duchamp permettra à Éric Aubertin de créer une installation in-situ à partir de ses œuvres. Du plancher au plafond, quatre structures tridimensionnelles rappelant les intervalles d’une portée seront érigées pour établir un parallèle avec le mouvement (mélodique et chromatique).

Un dispositif sonore et quelques partitions complèteront l’installation. L’exposition sera accompagnée d’un catalogue où figurera des textes de Réal Larochelle et de Liliane Audet.



Éric Aubertin est le co-fondateur et le directeur d’Espace Projet. Autodidacte, il est à la fois artiste, commissaire, designer et musicien.

http://www.ericaubertin.ca


Point zéro 
Seules les prémisses qui ont donné lieu au visuel d’ensemble de cette exposition sont intentionnelles. À partir de quelques idées et concepts, les jeux ont été faits d’une façon quasi mécanique. Pourtant, cette exposition est en quelque sorte un aboutissement, un bilan du travail d’Éric Aubertin sur plusieurs années de création. Plus encore, elle témoigne d’un besoin récent de reconstruire, de faire table rase sur son passé pictural.
Dans cette exposition, Éric Aubertin décide en effet de peindre par-dessus un bon nombre de ces anciens tableaux, de faire du neuf avec du vieux. Dans cet esprit, les différentes pièces de cette exposition s’appréhendent comment un nouvel ensemble visuel, pour ne pas dire un nouvel événement visuel dans lequel des influences artistiques importantes ont servies de référence et d’inspiration.

Erratum musical. Duchamp et le hasard.
Passant d’une pratique appliquée, dictant une « manière de faire » des monochromes, Aubertin s’intéresse dans cette exposition aux « manières de penser » des monochromes dans l’espace. Ainsi, la mise en espace prime sur l’observation individuelle des tableaux (ou objets) disposés aux murs. S’il en est ainsi, c’est que l’inspiration première de cette exposition se base sur une œuvre de Marcel Duchamp de 1912 : l’Erratum musical.
L’installation in-situ de l’Erratum musical est une façon de mettre en scène visuellement ce que Duchamp expérimenta musicalement. À l’origine, l’exercice amena Duchamp à découper des cartes et à y inscrire, sur chacune d’entre elles, une note de musique. Celles-ci étaient ensuite disposées dans un chapeau puis mélangées et sélectionnées au hasard. Une fois tirée au sort, chaque note était reportée sur du papier musique et réintroduite dans le chapeau. Duchamp reproduit ce processus vingt-cinq fois. Ainsi, pour la mise en scène de l’Erratum musical, ce système est reproduit avec les 25 notes de la partition originale de 1912. Pour faire un pont avec les arts visuels, ces notes correspondent à chacun des monochromes pigés au hasard lors du montage. Une portée a été dessinée dans l’espace et chaque pièce forme une partition visuelle réinventée. Laissant place à de nombreux inattendus, certaines pièces se trouvent alors confinées au plafond, alors que d’autres sont relayés au sol. Cette part de jeu, exploité par Aubertin dans un bon nombre de ses créations passées, se trouve ici au centre du processus.
Dans cette volonté de faire table rase pour mieux reconstruire, Aubertin puisse aussi son inspiration dans un autre aspect important de sa vie d’artiste, la musique conceptuelle.

Faire un tout avec rien. John Cage et la musique conceptuelle.
Dans le même ordre d’idée que l’Erratum musical de Duchamp, John Cage est un artiste reconnu pour avoir vidé la musique de toute intention sensible ou émotive. Il la ramena à la stricte activité des sons. Cage a ouvert la musique au bruit, à l’indétermination et, pour finir, au silence. Dans sa formation autodidacte de musicien jazz, Aubertin reste marqué par les interventions de Cage, entre autre celle de 1939, alors que celui-ci met au point un « piano préparé » en sertissant les cordes de vis, de boulons et de plats à tartes, etc. De plus, en 1952, John Cage fait exécuter ses 4 minutes 33 secondes de silence pour n’importe quel(s) instrument(s), œuvre dans laquelle il « met en scène » la rumeur de la salle de concert.
Ainsi, chaque tableau de cette exposition est peint de la même couleur neutre. Ils correspondent aux notes de l’Erratum musical, ce qu’Aubertin appelle pour la cause des « monotones » plutôt que des monochromes. Une fois dissimulée sous la même teinte, ces vieux monochromes ou autres objets aux textures et couleurs variés s’unifient, se neutralise. Ils subissent alors, selon Aubertin, une sorte de traitement d’épuration sonore : avec ces longues pauses, ces silences, ces souffles et ces sauts répartis dans l’espace. Cette épuration rappelle le vide, le rien, qui tout à coup mise en scène devient un tout. Une ponctuation abstraite. Elle rappelle Cage et l’idée de la musique concrète, objective. Pour Cage, la conversation que propose l’instrument est totalement aléatoire ; l’instrument de musique ne raconte rien en dehors de ses propriétés effectives[1]. De la même manière, cette exposition est un événement visuel. Elle propose au visiteur de reconstruire l’espace tel une partition aléatoire, produite à la cadence de notre propre regard. La est sa seule prétention de communication.
Peints d’une façon parfois grossière, les monotones d’Aubertin sont en soi des objets d’art désacralisés, dans l’esprit du ready-made duchampien[2]. Le processus que démontre la réalisation des monotones d’Aubertin évacue l’émotion esthétique pour mieux accueillir le vide. C’est ce que Duchamps appelait la « Beauté d’indifférence », une idée que l’on peut sans doute manifeste dans la mécanique de la musique de John Cage. Suivant ce précepte, il s’agit enfin pour Aubertin d’atteindre le point zéro de son propre langage d’artiste, de laisser l’espace dicter librement le message.  

États  de renoncement
Déconstruire son travail pictural pour mieux le reconstruire est peut-être un geste qui semble  banal. Le concept est là, il nous amuse, mais il n’a pas la prétention de nous apprendre quoique ce soit. Le mouvement Dada, qui inclue certaines pratiques de Marcel Duchamp, n’était-il pas en partie inspiré d’un désir de contestation et de négation de l’art visant à mieux en redéfinir les contours futurs?[3] N’est-il pas plus valable de construire du vide pour ainsi éviter de reproduire des esthétiques préconçues?
Cette exposition démontre justement en quoi la négation alliée à la construction permet l’ouverture à de nouvelles voies[4]. Par une méfiance vis-à-vis des notions idéalistes traditionnelles du «  fait main », Éric Aubertin suit cette tradition dans laquelle prime la façon de composer, de former une œuvre. À cet effet, on remarque même que certains tableaux sont volontairement inachevés, imparfaits. Certains ont même été abimés lors de leurs installations. Jouer avec le vide et construire d’une façon aussi imparfaite seraient donc des formes de renoncements volontaires à un art convenu. Un exercice avoué et jugé essentiel pour Aubertin à ce stade-ci de sa création. Pour la suite, ce n’est sans doute que le début de la fin.
Texte Liliane Audet




[1] Charles, Daniel, Cage et Duchamps, Notes sur les 26 statements Re Duchamp, de John Cage, p. 75 tiré de Octavio Paz , L’Arc et la Lyre, Trad. Roger Munier, Paris, Gallimard, 1965, p. 127
[2] Ce qui importe n’est « ni l’objet proposé en lui-même, ni l’acte de proposition en lui-même, mais l’idée de cet acte »6.  GENETTE, Gérard, L’Œuvre de l’art. Immanence et transcendance, Tome I, Paris, Seuil, 1994, p. 163.
[3] Dachy, Marc, « Pour Dada, la fonction de l’art est la dissidence »  dans Télérama Hors Série, 1916/1924 Rétrospective Dada au Centre Pompidou, Paris, Octobre 2005, p. 29
[4] Ibidem, p. 29