8.20.2012

Sabrina Desmarteau - Expo 67


Recomposer les espaces et réactualiser les lieux
Catherine Barnabé

En intitulant son projet Expo 67, Sabrina Desmarteau nous rappelle le caractère historique des compositions architecturales présentées, elle insiste sur leurs anciennes fonctions plutôt que sur leurs nouvelles. Ces survivances nous indiquent qu’un passage a eu lieu, que ce que l’on croyait connaître a une histoire autonome. Elle nous montre ce qui reste, nous confronte au présent de ces vestiges auxquels elle supplée au discours actuel la mémoire du lieu.

Terre des hommes
L’exposition universelle de Montréal en 1967, sous le thème Terre des hommes[i], fut pour la ville l’occasion de profiter d’un rayonnement international, mais plus encore, d’une croissance économique et culturelle. En six mois, l’événement a accueilli cinquante millions de visiteurs et généré des revenus de plus d’un milliard de dollars. La superficie de l’Île Notre-Dame a doublé ; l’Île Sainte-Hélène fut créée grâce aux résidus provenant de la construction du métro, inauguré pour l’occasion quelques mois avant le début de l’expo ; Habitat 67, où logeaient les dignitaires de passage, a aussi pris naissance. Les Montréalais, et les Québécois, ont découvert le monde avec cet événement d’envergure qui s’est déroulé durant une période effervescente pour le Québec où la Révolution tranquille amena rupture et changement au sein de la société contemporaine. Avec ses soixante-deux pays invités et ses quatre-vingt-dix pavillons, le développement fut aussi architectural et urbain. De tous ces pavillons, six sont encore aujourd’hui en activité : États-Unis, Canada, France et Québec, Corée, Jamaïque et Tunisie. C’est ceux-ci que Sabrina Desmarteau a choisi de représenter pour cette exposition. Avec ce projet, l’artiste continue de développer le thème de l’environnement bâtit, elle l’avait fait précédemment avec sa série sur le métro de Montréal (2009-2010). Cette fois, elle travaille autour de structures architecturales, de leur héritage urbain et de leur réactualisation. Elle propose de voir comment ces compositions peuvent, sur la toile, construire un nouvel espace et permettre un travail des lignes et des géométries.

Des espaces picturaux
Sabrina Desmarteau ne fait pas que reproduire des bâtiments, elle construit dans ses œuvres des espaces architecturaux qui sont à la fois des vues de l’intérieur et de l’extérieur, des plans d’ensemble et des plans rapprochés, figuratifs et abstraits. Les limitations physiques des structures sont déjouées par le traitement qu’elle propose, elle suggère des combinaisons impossibles en déconstruisant les logiques spatiales.  Ses compositions de lignes tissent de nouveaux liens entre les éléments des structures, permettent de voir les constructions d’un angle géométrique avec un traitement esthétique graphique. Ainsi, elle crée des espaces qui se révèlent être des dispositifs spatiaux. De nouveaux espaces qui n’existent autrement que par sa recomposition, qui proposent une vision multiple, à la fois partielle et entière, précise et générale.

Les lieux anthropologiques et leurs fonctions
Le rapport qu’entretient Sabrina Desmarteau avec l’espace de la ville, précisément de Montréal, se concentre pour l’instant sur le paysage urbain qui a émergé dans les années 1960. Mais pourquoi représenter des structures architecturales nées il y a presque cinquante ans ? Pourquoi proposer des œuvres qui reprennent ces icônes ? Par nostalgie ou par devoir de mémoire ? Ou plutôt car ce sont des lieux qui ont appartenu à un pan important de l’histoire, qui ont contribué à définir une appartenance au territoire, une certaine identité. Ces lieux sont alors à la fois historiques, identitaires et relationnels. Des lieux anthropologiques, au sens où l’entend Marc Augé[ii], qui sont des constructions concrètes et symboliques de l’espace. Historiques, ce ne sont pas des lieux de mémoire puisqu’ils sont encore actifs, ont été réactivé par de nouvelles fonctions, mais portent toujours les traces des événements passés. Nous vivons dans leur histoire, puisqu’en plus de s’inscrire dans l’espace, ils s’inscrivent dans la durée : le temps est vaincu, l’histoire n’est pas oubliée. Les événements de l’Expo 67 ont participé, dans le contexte socio-politique de l’époque, à voir naître l’identité d’un peuple, ou sa renaissance, certainement son ouverture au monde qui eue des retombées jusque dans la reconsidération des valeurs et des aspirations. Les lieux qui en ont émergé se sont, par ricochet, inscrits dans cette quête identitaire et marqués d’une appartenance. La relation se présente aussi comme critère pour considérer un lieu comme anthropologique. Celle-ci se définit par les échanges qui s’y produisent, par les éléments qui y cohabitent, dans ce cas précis, sans doute relié à l’aspect identitaire, les rencontres qui ont eu cours durant l’expo, mais aussi maintenant dans les nouvelles fonctions qui réactivent sans cesse ces critères. Permettant aux structures architecturales de survivre et de ne pas être uniquement des bâtiments, de ne pas être que passage, ou non-lieux, dans lesquels rien ne perdure, aucune prise n’est possible, mais plutôt de participer à l’histoire et au monde dans lequel ils sont posés. Le choix de s’attarder aux reliques de l’Expo 67 n’est donc pas vain, il conduit vers une relecture, voire questionne les événements historiques et leur rayonnement actuel. Ces lieux, témoins, mais plus encore, témoins devenus icônes, sont aujourd’hui toujours les emblèmes de Terre des hommes, en plus d’avoir de nouvelles fonctions, ce qui contribue à ce qu’ils participent d’une histoire contemporaine tout en soulignant le passé. Aujourd’hui, les pavillons de la France et du Québec, situés à proximité l’un de l’autre, sont devenus le Casino de Montréal ; celui des États-Unis la Biosphère ; le pavillon du Canada accueille les bureaux administratifs de la Société Jean-Drapeau ; celui de la Tunisie un restaurant ; celui de la Jamaïque est disponible pour la location et du pavillon de la Corée il ne reste que la structure. Leurs nouvelles fonctions économiques ou culturelles n’atténuent pas l’image historique, elles permettent plutôt de se souvenir tout en insufflant une seconde histoire.

Les œuvres de Sabrina Desmarteau, en plus d’être un travail de réactualisation de symboles dans une perspective anthropologique, en est un sur la composition d’espaces picturaux. En transposant sur la toile ces lieux en de nouveaux espaces, elle leur induit une dimension esthétique. Elle déconstruit les formes architecturales, permet une dissolution du plan, un éclatement de la géométrie. Il suffit alors de recomposer les structures. Il s’agit de participer à la création d’images symboliques. Visiter ces lieux et leurs nombreuses couches narratives.

[i] Titre d’un roman d’Antoine de St-Exupéry de 1939.
[ii] Augé, Marc. 1992. Non-lieux : introduction à une anthropologie de la surmodernité.
Paris : Éditions du Seuil. 149p.









Expo 67
1 au 30 septembre 2012 Vernissage : samedi 1 septembre 14h


Du 1 au 30 septembre 2012, Espace Projet présente en exclusivité les plus récentes œuvres de Sabrina Desmarteau, Expo 67. Avec cette nouvelle série, elle s’intéresse au développement architectural, urbanistique et culturel de Montréal par le biais de l’exposition universelle de 1967. En effet, cet événement engendra la construction de structures urbaines importantes, il contribua aussi au déploiement de la ville sur la scène internationale et permit une ouverture sur le monde. Avec cette série, l’artiste continue ainsi à explorer l’architecture montréalaise des années 1960 comme elle l’avait fait avec la précédente qui portait sur le métro de Montréal. Cet intérêt pour l’histoire de la métropole, et en particulier son développement urbain, engage une réflexion sur notre rapport à l’environnement bâtit et sur ce qui en reste à travers le passage du temps. La série présente les six pavillons toujours existants et en activité. Les compositions de Sabrina Desmarteau proposent un regard reconstruit sur les structures architecturales; quelques éléments particuliers sont reconnaissables, mais l’esthétique procède plutôt du plan et de la géométrie.



Diplômée du baccalauréat en arts visuels et médiatiques de l’UQAM, Sabrina Desmarteau vit et travaille à Montréal. Son travail solo a été vu depuis 2010 à la galerie Espace Projet.
 – sabrinadesmarteau.com –